CITE

 

2011-2012. Impressions photo sur dômes en porcelaine réalisés à l'EAB de Beauvais.

 

La cité, devient maquette précieuse et fragile, forteresse et jouet. Dépersonnalisant l'individu, elle demeure un labyrinthe sans début ni fin, où les dômes englobent des vies comme une chape. SG©

Les laboratoires héraldiques architecturaux de Sophie  Goullieux


Christian Gattinoni, membre de l’AICA et rédacteur en chef de la revue en ligne www.lacritique.org :

 

"L’intérêt de la plasticienne Sophie Goullieux oscille constamment  entre paysages préférablement bâtis et humains y cherchant leur place sociale. Pour assumer leurs multiples relations qu’elle enrichit et renouvelle ses créations dépendent majoritairement de deux techniques : la photographie et la céramique.

De la réappropriation des formats

Une majorité de ses images sont verticales, format que l’on qualifie de portrait, c’est le cas de la plupart des tirages de la série Réflexions, des deux ensembles Emblématiques et des quelques rares Trophées. Or les sujets de ces oeuvres sont de fait des paysages que l’on pourrait qualifier de différés, puisque, qu’ils soient naturels ou construits,  ils n’existent que par l’action d’intercesseurs humains dans une complexité de reflets. Les jeunes hommes  dépendant de la mission d’appui artistique de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ne pouvant par respect de leur identité être identifiés portent d’imposantes lunettes 3D qui masquent leur regard tout en servant d’écran au paysage auquel ils font face. Le dernier portrait de cette série Réflexions est au format paysage, le jeune homme au visage poupin occupe le  bord cadre droit , tandis que la partie gauche révèle une usine désaffectée, quand tous les autres fonds sont constitués de lieux de vie plus fonctionnels. Paradoxalement c’est encore au format paysage que l’on trouve les Invisibles ces portraits de sdf en négatifs noir et blanc, flottant comme des gisants.

D’autres jeunes gens, hommes et femmes, debout dans des sites paysagers y présentent un imposant miroir en forme de blason. Le premier ensemble haut en couleurs a été produit à Flers dans l’Orne  pour des paysages agricoles tandis que le second se tient en bord de Méditerranée à Port de Bouc. A l’origine les premières armoiries étaient bicolores. Sophie Goullieux renoue avec cette tradition en utilisant souvent le noir et blanc, notamment pour ces centrales nucléaires fumantes reproduites  façon Trophées en sérigraphie sur porcelaine.
Dans les  mêmes nuances bicolores le  format carré est mis au service d’images d’architecture collective, reproduites sur des dômes passés au four pour un même traitement céramique. En exposition ces oeuvres de petit format sont réunies en maquette de site, pour une fiction d’urbanisme critique. D’autres façades collectives, celles de barres d’immeubles d’un front de mer trouvent une expansion vers le panoramique pour dénoncer  leur occupation massive de la ville. Ce même format ambitieux accueille L’île aux bunkers, une création générée par la reproduction d’un seul bunker, celui de Collioure.

De nouvelles matières architecturales  à un urbanisme de laboratoire

Rares sont les artistes associant céramique et architecture. Ettore Sottsass, le célèbre designer italien a produit un ensemble de 61 pièces à la Manufacture de Sèvres et au Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, avec des objets-architecture . Parmi plusieurs séries sa pièce majeure Surtout , réalisée en  fin biscuit de porcelaine avec des dorures délicates se présente comme une une sorte de cité idéale en miniature. A l’inverse Sophie Goullieux dans son installation justement  légendée  Cité  organise une dystopie dénonçant le déterminisme social . Elle s’exacerbe  dans ses alignements  de Boules à neige ,  préservant habitations individuelles et différents types de maisons bourgeoises, que l’héraldique aurait décrite « de pavillon à la nef équipée d’un toit sur sable noir à la fasce horizontale du jardin blanc d’argent ».

En concentrant la figure-habitat au centre de la pièce chaque petite sculpture photographiée oblige à une lecture centripète. Cette approche s’impose aussi au spectateur des Réflexions qui ne découvre le paysage architecturé qu’au coeur des lunettes bombées et aux Emblématiques où celui ci se révèle au centre du miroir porté. Cette lecture est héritée de celle du blason qui commence toujours par le fond pour gagner les plans intermédiaires et se termine  par le plan le plus rapproché de l’oeil. Dans le white cube de l’exposition le brillant des formes douces et lisses créées par l’artiste nous confronte à un all over de blanc qui multiplie les signes de l’habitat contemporain. Michel Pastoureau dans Figures de l’héraldique en fait le récit sociologique : « En matière d’emblèmes et de signaux, l’héraldique a donné naissance, au fil des siècles, à toutes sortes d’images héraldisantes (pavillons, insignes, uniformes, logos, marques, panneaux de signalisation, etc.) qui ont rempli et continuent de remplir, dans la vie sociale et quotidienne, un rôle essentiel. »

Les nombreux modèles qui posent pour la photographe , seuls ou dans les rondes chorégraphiées des Germinations et Consolations, lui servent d’assistants au service de la révélation des architectures dans ce laboratoire iconique. "

Christian Gattinoni, membre de l’AICA et rédacteur en chef de la revue en ligne www.lacritique.org